- DÉSOBÉISSANCE CIVILE
- DÉSOBÉISSANCE CIVILEDÉSOBÉISSANCE CIVILEPratiquement attestée dès l’Antiquité, la désobéissance civile a pris, avec Henry David Thoreau, Tolstoï, Gandhi, Martin Luther King, une forme idéologique plus précise; elle implique le refus de se soumettre à des lois ou à une autorité dont les effets sont jugés contraires à la dignité de l’homme ou aux aspirations de la vie. Son recours à la non-violence oppose une résistance passive aux injonctions du pouvoir, mais elle peut aussi, avec plus de combativité, inciter à transgresser les interdits. Parfois limitée à la courageuse et exemplaire insoumission d’un individu, elle s’est le plus souvent traduite par des mouvements collectifs qui ont contraint au retrait des mesures incriminées. C’est en cela qu’elle est apparue comme la force des faibles et comme l’arme de ceux qui sont dépourvus de puissance.La désobéissance civile existe déjà dans le mythe littéraire d’Antigone, laquelle brave les lois de Créon pour donner à son frère une sépulture décente, et de la Lysistrata d’Aristophane, où les femmes décident de se refuser à leurs maris tant qu’ils n’auront pas mis un terme à la guerre. Elle appartient à la dialectique du pouvoir et de la subversion; et, partout où s’exprime la nécessité du maintien de l’ordre, elle s’inscrit dans le droit à la révolte comme le dernier recours de l’insurrection quand la violence armée a échoué.L’histoire romaine a conservé la mémoire de manifestations de femmes, en 195 avant J.-C., contre des restrictions vestimentaires, ainsi qu’en 42 avant J.-C. contre une taxe abusive. Lope de Vega a démontré l’efficacité du procédé dans sa pièce Fuenteovejuna , où la population d’un village impliquée dans l’assassinat d’un gouverneur odieux s’obstine, en dépit des tortures, à répondre aux magistrats qui exigent le nom du meurtrier: «Fuenteovejuna».Il est vrai que la désobéissance civile a oscillé plus d’une fois entre l’obstination résignée, qui fait les martyrs, et la passivité subversive, plus proche des méthodes anarchistes. Quelle différence cependant entre les vaudois qui, refusant de tuer, vont au supplice en chantant, et la lucidité de La Boétie, montrant dans son Discours sur la servitude volontaire comment le pouvoir ne se soutient que par la main que le peuple prête à sa propre oppression. C’est à Henry David Thoreau que revient le mérite, sinon d’avoir inventé l’expression, du moins d’en avoir éclairé l’idée par le livre et par l’exemple. Ayant refusé de payer l’impôt, en manière de protestation contre la guerre du Mexique, il se retrouva en prison. Comme Ralph W. Emerson le visitant s’étonnait: «Henry, pourquoi êtes-vous là?», Thoreau rétorqua: «Pourquoi n’y êtes-vous pas?» L’expérience lui inspira le célèbre Résistance au gouvernement civil (1849), qui sera réédité sous le titre désormais plus connu de La Désobéissance civile . Il y défendait le droit de refuser de se faire le complice d’un gouvernement ou d’un État qui promulgue des lois contraires au sentiment d’humanité et de liberté individuelle. La tendance pacifiste de l’anarchie y trouvait son compte mais aussi un certain individualisme et les illusions de la liberté encouragés par l’american way of life .L’application la plus spectaculaire des vues de Thoreau fut l’œuvre de Gandhi. La façon dont il mit fin à l’emprise coloniale anglaise sur l’Inde allait inspirer un grand nombre de campagnes revendicatives: la lutte pour le droit des Noirs américains, menée par Martin Luther King, l’incitation à déserter, pendant la guerre d’Algérie, les sit-in contre les hostilités au Vietnam, la destruction par le feu des livrets militaires et des ordres de conscription...Trois raisons ont principalement servi à justifier le recours à la désobéissance civile: la loi divine, le droit naturel et le projet révolutionnaire. C’est un évangélisme qui inspire Tolstoï, soucieux de mettre en pratique la recommandation du Christ: «Aimez-vous les uns les autres.» Une inspiration similaire anime Martin Luther King, pour qui, Dieu n’ayant pas cautionné la ségrégation raciale, il n’est pas admissible que des lois l’autorisent.Dans l’attitude de Thoreau, comme chez les manifestants qui récusent l’injustice en se couchant au milieu des rues ou en s’enchaînant, le droit naturel est brandi en opposition à une entreprise du pouvoir jugée dénaturée. De cette connotation juridique est née une forme édulcorée de la désobéissance civile. Selon Abe Fortas, il n’est pas nécessaire d’employer la violence et l’illégalité quand il existe des arguments légaux dont il est possible de faire usage. Si la ségrégation raciale dans les écoles du sud des États-Unis a pu être ainsi condamnée en raison de son caractère anticonstitutionnel, il n’en reste pas moins vrai qu’une telle option revient le plus souvent à «faire confiance aux lois de son pays».Du reste, la question qui se pose en l’occurrence est moins celle de la violence ou de la non-violence que le choix entre «ne pas faire ce qui est prescrit» et «faire ce qui est interdit». L’anarchiste Libertad brûlant publiquement ses papiers d’identité illustre la seconde voie, mais, pour être moins démonstrative, le mouvement des autoréductions ne fut pas moins efficace, lorsque, en Italie, des quartiers refusèrent de payer l’intégralité des loyers, des titres de transports, des notes d’électricité.
Encyclopédie Universelle. 2012.